« Ils disaient que l’oubli était leur passion dominante. Ils voulaient tout réinventer chaque jour ; se
rendre maître et possesseurs de leur propre vie. »
Guy Debord, Sur le passage de quelques personnes à travers une assez courte unité de temps, 1959
La galerie J&J Donguy a été créée par le critique d’art, poète et artiste Jacques Donguy en 1981.
Elle s’installe alors dans les anciennes fabriques de la marque de vêtements Morgan au 57 rue de
la Roquette dans le 12 ème arrondissement de Paris, où elle restera active jusqu’en 2000 soit
pendant dix-neuf ans. Bien qu’elle porte le titre de galerie, au fil des années également dénommée
Espace Donguy ou Espace Roquette, le lieu est plus proche du centre d’artistes, sur le modèle
des centres d’artistes ou artists-run centers qui se développent à partir de la fin des années 1970 aux
Etats-Unis et au Canada. En ouvrant un tel lieu, il s’agit alors de continuer de porter le flambeau
utopique des années 1970 et de se placer en dehors des circuits marchand et muséal. Bien qu’il lui
arrive occasionnellement de vendre des œuvres, la structure n’a pas comme objectif de faire du
profit, mais bien de programmer des artistes, de montrer des pratiques éclectiques et qui
représentent les courants d’avant-garde du moment.
Durant les deux décennies de son activité, la galerie Donguy a accueilli plusieurs centaines
d’expositions individuelles et collectives, de festivals, d’artistes venant de France mais aussi
d’Europe centrale et de l’Est, de Corée et du Japon, des États-Unis, du Canada, du Brésil, des
Philippines… Arts plastiques, installations, art vidéo et sonore, littérature et poésie, musique y
sont invités sous leurs formes les plus expérimentales allant du cinéma élargi, à la poésie concrète,
passant par les pratiques féministes, l’art conceptuel, le copy art, le mail art… Se situant résolument
à la charnière des médiums et des démarches la galerie accueille des expositions mais aussi des
présentations d’ouvrages, des colloques, des ateliers. Au fil de partenariats fructueux elle a
présenté des événements liés à la Biennale de Paris, collaboré avec de nombreux laboratoires de
recherches universitaires, L’École Nationale Supérieure d’arts de Cergy, la Mairie de Paris, France
Culture…
La galerie J&J Donguy se distingue dans le champ des structures d’art contemporain en France
par ce qu’elle a accueilli et donné une place centrale, dès le début des années 1980 à ce qu’on
appelle aujourd’hui les pratiques performatives. Suivant les labels de l’époque, happening, body art,
art corporel, et surtout performance, sont présentés très régulièrement. Parmi les très
nombreux·ses artistes internationaux que la galerie accueillit, on peut citer Vito Acconci, Marina
Abramovic, Joseph Beuys, Gunter Brus, , Chris Burden General Idea, John Giorno, Allan
Kaprow, Alison Knowles, Christina Kubisch, La Monte Young, Otto Muehl, Paul Mac Carthy,
Hermann Nitsch, Charlemagne Palestine, Rudolf Schwarzkogler … Et pour la scène « française »
Julien Blaine, Charles Dreyfus, Esther Ferrer, Françoise Janicot, Michel Journiac, Maria Klonaris
et Katerina Thomadaki, ORLAN, Gina Pane, Nil Yalter…
Cette place unique accordée la performance à la galerie J&J Donguy trouvera notamment un
contexte particulièrement propice avec le Festival de la Performance de Paris qui a connu trois
éditions, en 1981, 1982 et 1983. Ce festival accueillit plusieurs dizaines d’artistes à chacune de ses
éditions et autant de performances. Il constitue, avec le Symposium d’art performance organisé par
Orlan et Hubert Besacier à Lyon de 1979 à 1983, parmi les premiers événements artistiques
d’ampleur en France consacrés à la performance. Cependant à la différence du Symposium dont la visée était intellectuelle en plus d’être artistique (il rassemblait des artistes mais aussi des critiques
et des théoricien·nes), le Festival de la Performance de Paris avait une visée proprement artistique.
Pour preuve, le catalogue édité par Jacques Donguy qui ne comprend pas de textes, mais des
interventions d’artistes sous la forme de copy art.
Les archives du deuxième Festival de la Performance de Paris qui a en mars 1982 à la galerie J&J
Donguy et au Théâtre de la Bastille, ont été déposée par Jacques Donguy dans le fonds d’archives
Performance Sources et sont consultables sur la base de données. Cet événement a été partiellement
documenté par Lionel Magal en vidéo (U-Matic) et par Emma Luvisutti en photographie.
Le choix de la performance correspond pour Jacques Donguy à un choix artistique mais
également politique, car la performance représente alors un médium qui ne se vend pas. Elle
résonne avec la citation de Guy Debord mise en exergue, qui brandit avec passion l’oubli : l’oubli
est en effet une notion qui a partie liée avec l’histoire de la performance, la perte avec celle de ses
œuvres. Cette accointance avec la disparition implique ce que Guy Debord désigne comme une
réinvention quotidienne.
A l’heure où la première génération d’artistes de performance commence à disparaître, cette
génération pionnière et utopiste qui a été accueillie par Jacques Donguy, nous gageons ici, avec
lui, que les archives sont une forme de réinvention, aussi.
Clélia Barbut, janvier 2022
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