- Dates de représentation 21/10/2023 (Bétonsalon)
- Source Bétonsalon
- Artistes Anna Holveck
Tiré d’un tableau de Francis Barraud, le logo du label anglais His Master’s Voice représente un chien la tête penchée sur le pavillon d’un gramophone. Comme, avec l’avènement des techniques contemporaines, la propriété acousmatique de la voix est devenue banale, l’étonnement de l’animal cherchant la source du son dans la machine nous paraît cocasse. On appelle acousmatique une voix ou un son dont on ne peut ni voir ni situer la source*. Cette qualité de la voix trouve son origine dans l’histoire de la philosophie : les Acousmatiques étaient les disciples de Pythagore qui suivaient son enseignement, « la voix du maître », derrière un rideau, sans pouvoir le voir.
En prenant pour point de départ cette qualité cachée de la voix, Anna Holveck ne cherche en rien à rejouer les codes d’un enseignement descendant ou d’une autorité quelconque, bien au contraire. Jouant de gestes ordinaires, comme une main cachant la bouche pour en soustraire à la vue l’étirement paresseux d’un bâillement, l’artiste investit les stratégies d’esquive et de dissimulation d’une voix qui se déroberait sans cesse à la vue de son auditoire et s’émanciperait ainsi, comme pour mieux faire entendre la voix du corps et le corps dans la voix. La main, à la fois outil, masque et panneau acoustique, permet de dissimuler la source de la voix, mais aussi d’en modeler les sonorités ainsi que d’en brouiller la provenance spatiale. Caché·es derrière leurs mains et complices du déroulé de la performance imaginée pour l’exposition, les performeur·euses proposent au public une improvisation collective. Ainsi, de manière discrète, leurs corps en présence vocalisent et donnent à écouter une diversité de voix flottantes depuis l’intimité de la paume de leur main. Les voix des un·es et des autres se font écho dans une communion tâtonnante et fragile où la participation furtive du public demeure une possibilité. Ces voix anonymes génèrent un espace d’écoute et d’attention, une situation qui exige que chaque personne se concentre sur la manière dont le son qu’il ou elle produit affecte l’espace et le groupe, et est affecté en retour par elleux. Jouer ensemble, c’est aussi apprendre à être ensemble. Anna Holveck et Pauline Oliveros ont en commun d’user du corps comme d’un instrument et de construire des situations d’écoute immersives dans les quelles chacun·e se retrouve à la fois performeur·euse et public, auditeur·ice et producteur·ice de sons. En faisant de la bouche un lieu d’écoute, Anna Holveck défait les distinctions entre parole et écoute, activité et passivité. Comme dans Horse Sings from Cloud (1982), où la voix de Pauline Oliveros entre en résonance avec son accordéon, la vibration d’un corps appelle celle d’un autre corps, tissant des liens faits de vulnérabilité. Développer la conscience des sons et des voix avec Anna Holveck, c’est ainsi développer sa capacité à maîtriser sa propre puissance d’agir et à se laisser « prendre ». C’est aussi faire nombre, sans maître·sse.
Elena Lespes Muñoz
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- Mladen Dolar, Une voix et rien d’autre, Nous, 2006.
Participant·es : Ebbane Augé-Visa, Léa Serre, Sophie Rogg, Dune Delhomme, Constance de Raucourt, Odile Gheysens, Zoé Couppé, Marie Plagnol, Lena Karson, Pierre-Cassandre Gilles, Clemence Santoni, Nolwenn Vuillier, Daniela Carler Laure Fanniere et Lova Ladouceur
A propos des textes lus :
Constitué par Anna Holveck, Clara Schulmann et Emilie Renard, ce corpus de textes, de pièces sonores et d’extraits de films explore la notion de voix acousmatique sans corps, sans identité et sans espace, dans l’idée qu’elle se verrait confier un pouvoir et une autorité spécifique à travers ces absences. La source de la bouche, l’identité de genre et l’espace acoustique de la voix seraient des lieux de la fragilisation de son autorité. En partant à la recherche des origines de ces aprioris ce recueil tente de les déjouer en observant également des pratiques de réappropriations. Anna Holveck a initié ce projet de récolte suite à la lecture du livre Zizanies de Clara Schulmann. Le corpus récolté a été partagé au public sous la forme d’une lecture collective avec les participant·es du workshop donné par Anna Holveck dans le cadre de sa participation à l’exposition Un·Tuning Together. Pratiquer l’écoute avec Pauline Oliveros à Bétonsalon et de son projet de performance collective Masque Paume.
Lu par Clara Schulmann, Anna Holveck et les participant·es du workshop: Pierre Cassandre Gilles, Léa Serre, Nolwen Vuillier, Juiliette Fabert, Laure Fanniere et Odile Gheysens.
Sommaire par ordre d’apartition :
Mladen Dolar, Une voix et rien d’autre, 2007
Hildegard Westerkamp, Breathing room, 1990
Anne Carson, Le genre des sons, 1995
Clara Schulmann, Zizanies, 2020
RER Q, Lettres aux jeunes poétesses, 2021
Pauline Olivéros, Horse sings from cloud, 1982
Joseph L. Mankiewicz, A Letter to Three Wives, 1949
René Goscinny et Albert Uderzo, Dessin animé Astérix et Cléopatre, 1968
Meredith Monk, Clik song #1 and #2, 1997
Marianne Massin, L’art des réalités échoïques, 2021
Alvin Lucier, I’m sitting in a room, 1969
Michèle Métail, (LETTRE) A S… CORTEX-LABYRINTHE dans Lettres aux jeunes poétesses, 2021
- Crédits réalisateur·rice Anna Holveck
- Date de captation 21/10/2023
- Nombre d’œuvres dans le fonds 2